Extrait de "Le Sauveur et son amour pour nous " du R.P Garrigou-Lagrange O.P- Chapitre IX : "La Cène et le Coeur eucharistique de Jésus"
Comme Dieu le Père donne toute sa nature dans la génération éternelle du Verbe et la spiration de l'Esprit-Saint, comme Dieu a voulu se donner en personne dans l'incarnation du Verbe, ainsi Jésus a voulu se donner en personne dans l'Eucharistie. Et son cœur sacerdotal est appelé eucharistique en tant précisément qu'il nous a donné l'Eucharistie, comme l'air pur est dit sain en tant qu'il donne la santé.
Notre Seigneur aurait pu se contenter d'instituer un sacrement signe de la grâce, comme le baptême et la confirmation ; il a voulu nous donner un sacrement qui contienne non seulement la grâce, mais l'Auteur de la grâce.
L'Eucharistie est ainsi le plus parfait des sacrements, supérieur même à celui de l'Ordre. Et c'est en vue de la consécration eucharistique que Jésus a institué au même instant le sacerdoce.
L'amour vrai et généreux, par lequel on veut et fait du bien aux autres, nous porte à nous incliner vers eux, s'ils sont plus petits que nous, à nous unir à eux dans une parfaite union de pensée, de désir, de vouloir, à nous dévouer à eux, à nous sacrifier s'il le faut, pour les rendre meilleurs, pour les porter à se dépasser eux-mêmes et à atteindre leur destinée.
Au moment de nous priver de sa présence sensible, Notre Seigneur a voulu se laisser lui-même en personne parmi nous sous les voiles eucharistiques. Il ne pouvait pas, dans son amour, s'incliner davantage vers nous, vers les plus petits, les plus pauvres, les plus délaissés, s'unir davantage et se donner davantage à nous et à chacun de nous.
Nous désirerions parfois la présence réelle d'êtres très chers qui ont disparu. Le Cœur eucharistique du Sauveur nous a donné la présence réelle de son corps, de son sang, de son âme et de sa Divinité. Partout, sur la terre, où il y a une hostie conscrée dans un tabernacle, jusque dans les missions les plus lointaines, il reste avec nous comme "le doux compagnon de notre exil". Il est dans chaque tabernacle "patient à nous attendre, pressé de nous exaucer, désirant qu'on le prie". Il est porté même aix criminels repentants qui vont monter sur l'échafaud.
Le Cœur eucharistique de Jésus nous a donné l'Eucharistie comme sacrifice, pour perpétuer en substance le sacrifice de la Croix sur nos autels jusqu'à la fin du monde et pour nous en appliquer les fruits. Et à la sainte Messe, Notre Seigneur, qui est le prêtre principal, continue de s'offrir lui-même pour nous.
"Le Christ toujours vivant ne cesse d'intercéder pour nous" dit saint Paul (Hebr, VII,25). Il le fait surtout à la sainte Messe, où, selon le Concile de Trente, c'est le même prêtre qui continue de s'offrir par ses ministres de façon non sanglante après s'être offert de façon sanglante sur la Croix.
Cette oblation intérieure, toujours vivante au Cœur du Christ, est comme l'âme du saint sacrifice de la messe et lui donne la valeur infinie. Le Christ Jésus continue aussi d'offrir à son Père nos adorations, nos supplications, nos réparations et nos actions de grâces. Mais surtout, c'est toujours la même victime très pure qui est offerte, le corps même du Sauveur qui a été crucifié, et son précieux sang est sacramentellement répandu sur l'autel, pour continuer à effacer les péchés du monde.
Le Cœur eucharistique de Jésus, en nous donnant l'Eucharistie-sacrifice, nous a donné aussi le sacerdoce. Après avoir dit à ses Apôtres : "Venez à ma suite, je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes" (Mc,1,16), et : "ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis et qui vous ai établis, pour que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure" (Jn, XV,16), il leur a donné à la Cène le pouvoir d'offrir le sacrifice eucharistique en disant : "Ceci est mon corps, qui est donné pour vous; faites ceci en mémoire de moi" (Lc, XXII,19). Il leur a donné le pouvoir de la consécration sainte qui renouvelle sans cesse le sacrement d'amour. L'Eucharistie, sacrement et sacrifice, ne peut en effet être perpétuée sans le sacerdoc, et c'est pourquoi la grâce du Sauveur fait germer et s'épanouir dans la suite des générations depuis près de deux mille ans des vocations sacerdotales. Il en sera ainsi jusqu'à la fin du monde.
Enfin le Cœur eucharistique de Jésus s'est donné à nous dans la sainte communion.
Le Sauveur se donne à nous en nourriture, non pas pour que nous l'assimilions, mais pour que nous soyons rendus de plus en plus semblables à Lui, de plus en plus vivifiés, sanctifiés par Lui, incorporés à Lui. Il dit un jour à sainte Catherine de Sienne : "Je te prends ton cœur, je te donne le mien", c'était le symbole sensible de ce qui se passe spirituellement dans une fervente communion, où notre cœur meurt à son étroitesse, à son égoïsme, à son amour-propre, pour se dilater et devenir semblable au Cœur du Christ, par la pureté, la force, la générosité. Une autre fois, le Sauveur accorda à la même sainte la grâce de boire à longs traits à la plaie de son Cœur : autre symbole d'une communion fervente, où l'âme boit pour ainsi dire spirituellement au Cœur de Jésus, "foyer de nouvelles grâces", "doux refuge de la vie cachée", "maître des secrets de l'union divine", "cœur de celui qui dort mais qui veille toujours".
Saint Paul dit (Cor, X,16) : "Le calice de bénédiction que nous bénissons, n'est-il pas une communion au sang du Christ ?" ET, comme le remarque saint Thomas, le prêtre à la sainte messe en communiant au précieux sang, y communie pour lui et pour les fidèles.